"Moulat l pile"

Il faisait plutôt beau, et c'était une journée tout à fait ordinaire.
Les portes du cinéma étaient closes, il était midi trente cinq, le ciel était dégagé et la rue agitée comme à son habitude.

Je n'ai pas pû apercevoir les détails de son visage, mais elle doit avoir la quarantaine.
Elle apparait soudain, marche lentement les grandes marches menant à l'entrée du cinéma, elle s'arrête un moment devant un miroir, (pourquoi met-on des miroirs à l'entrée d'un cinéma?) se regarde de très près, comme si elle cherchait à voir ce que le miroir ne lui montrait pas.
Je me demande combien de temps elle a passé à travailler ici? Quelle est sa fonction déjà? Ce n'est jamais totalement limité ici, elle peut très bien être femme de ménage et gardienne de jour, et 'moulat l pile' quand le cinéma ouvre grand ses portes aux dizaines d'adolescents venus du lyée à 100 mètres ou des couples d'amis s'ayant donné rendez-vous galant ici même question d'acheter un peu d'obscurité pour l'amour du cinéma et par pûr intérêt à l'unique film à l'affiche.
Elle recule, avance d'un pas, regarde à droite puis à gauche, recule encore. Et là des pièces tombent par terre, de la monnaie éparpillée partout autour d'elle. Une des poches de son tablier blanc, jaunit par la lessive, a dû se déchirer.

Cinéma Lynx, avenue Mers Sultan. Casablanca (et la femme en noir n'est pas moulat l pile)

On l'appelera Mina, du haut de mon quatrième étage, elle me rappelle une Mina. Elle n'est pas pressée, elle se regarde encore quelques fois dans le miroir avant de se lancer à la recherche des pièces suicidaires.


Mina en ramasse quelques une, mais pas toutes, elle fait le compte, se regarde encore une fois dans le miroir, oui parce que la fierté a un visage différent, et ensuite se lance à la recherche des autres.
Elle n'est pas pressée, ne se sent pas en danger, n'est pas du tout menacée comme elle l'aurait été si cette même scène s'était passée un mètre dehors. Oui on peut se sentir en sécurité derrière les barreaux, ça me rappelle ces dictons écrits blanc sur noir qui vous disent que les personnes qui rient le plus cachent les plus grandes tristesses... blabla
Mina finit de ramasser ses pièces, les met dans une poche plus sure: celle de son pantalon, se dirige vers la porte, sort un tas de grosses clés de sa poche, celle qui n'est pas trouée: la première n'est pas la bonne, la seconde ouvre la porte.

Elle sort, claque la porte avec force, s'assure que cette dernière est bien fermée. A ce moment j'ai l'impression qu'elle ferme la porte de sa maison, pas d'un cinéma! Et c'est là que je réalise à quel point elle aime ce lieu, elle y passe tellement de temps qu'elle se l'approprie totalement. Je me demande si elle regarde les films, elle doit connaître les acteurs par coeur, ça doit être drôlement intéressant de travailler dans un cinéma, non ?
Elle fait quelques pas, se fait arrêter par un vendeur de cigarettes qu'elle a l'air de connaître, ils échangent un moment puis elle continue son trajet. J'aurai adoré savoir ce qu'ils ont pu se dire, mais nn je n'ai pas la moindre idée, aucun geste, aucun signe, aucune expression de visage que je puisse déchiffrer.
Je me demande où elle se dirgie, et j'ai déjà plein d'hypotèses dans ma tête: elle rentre chez elle, non mais elle est en tenue de travail, elle se serait changée au moins, sauf si elle habite à deux pas et qu'elle rentre pour déjeuner rapidement. Elle va passer un coup de fil à la téléboutique, d'ailleurs est-ce que les téléboutiques existent toujours, ça marche?; elle va chercher de l'eau de javel pour finir le ménage, non certainement pas, ça ne sent jamais aussi propre dans les endroits publiques au Maroc...
Bref je ne perds rien à attendre. Trois jeunes homme en costard cravatte, mains dans la poche, passent à côté d'elle. Quand ils la dépasent, elle se retourne et les regarde avec intérêt. Ils s'éloignent et elle continue d'avancer.

Elle marche doucement, mais sûrement elle sait exactement où elle va. Quelques pas encore et elle s'arrête, elle franchit la porte de la mahlaba. Et c'est là que je la perds de vue, je ne peux pas attendre sa sortie, elle n'a pas vraiment d'horaires de pause déj, elle peut rester autant qu'elle désire, pas moi.
Du cinéma à la mahlaba, un vrai parcous de 'moulat l pile'.

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